samedi 24 décembre 2011

Confessions d'une Chômeuse à vendre


Chronique d’un recrutement

Cela faisait bien vingt minutes que nous évoquions mon parcours professionnel. Je tentais avec plus ou moins de réussite de mettre de la cohérence là où il n’y avait que dispersion. Un CDD par ci, un autre par là. Une mission d’intérim ici, six mois de chômage là. Non je ne suis pas instable. C’est le marché du travail qui l’est, et je m’adapte à lui. Je ne fais plus de projets depuis bien longtemps déjà. Il paraît que vivre c’est vivre l’instant présent. Alors dans ce cas je vis pleinement puisque je ne sais jamais de quoi demain sera fait.

Dès que je suis entrée elle m’a dévisagée et scrutée de la tête au pied comme on jauge une volaille sur le marché. Ma jupe était-elle bien assortie à mon chemisier ? Mes chaussures étaient-elles suffisamment cirées ? Mon rouge à lèvres s’accordait-il à ma tenue ? Bref, est-ce que je présentais bien ? J’ai toujours le sentiment d’être en représentation quand je passe un entretien d’embauche. Je pèse chaque mot, mesure chaque geste. Je mens en toute conscience, impunément. De toute façon nous savons, elle et moi, que nous jouons, que nous nous donnons la réplique. Je sais qu’il y a des mots qu’on ne dit pas. Et elle sait que ces mots là je les connais. Chercheur d’un emploi ça devient un métier, et plus on a cherché, plus on est rôdé.

Oui, je suis une chercheuse d’emploi. Chercheuse et non demandeuse. En effet, je ne demande rien moi. Je cherche un emploi parce qu’il faut bien payer le loyer et les factures, et puis manger aussi. Voilà bien longtemps que j’ai fait le deuil d’un travail aimé. D’ailleurs si je l’aimais je ne l’appellerais pas travail, mais passion, loisir, plaisir. Et puis je suis bien consciente que nombre d’activités humaines indispensables à la vie en société n’ont rien de réjouissant. Sinon j’imagine que nous serions tous astronautes, danseuses étoiles, clowns ou auteurs de BD. Mais de là à ce que l’inadéquation entre les aspirations personnelles et les activités professionnelles soit à ce point !

Alors voilà je cherche. Je cherche et je vends quelques aptitudes intellectuelles et physiques  pour quelques milliers d’Euros. Et comme nous sommes très nombreux à chercher et à nous vendre j’accepte de faire le dos rond. J’accepte toutes ces petites humiliations qui, renouvelées et mises bout à bout, ont parfois raison de ma raison. La première de ces humiliations c’est certainement cette infantilisation dont sont friands les recruteurs. Je me souviens, quand j’étais petite fille je rêvais d’être grande, parce que je pensais que les grands avaient le pouvoir sur leur vie, qu’ils étaient libres de faire ce qui leur plaisait, quand ça leur plaisait.  En fait, je réalise aujourd’hui que les contraintes de l’enfance ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend une fois adultes.

Elle finit par me demander mes prétentions, prenant soin de me préciser que, compte tenu de la conjoncture, il est peu probable que l’entreprise souhaite aller au-delà de la rémunération qu’elle a pris soin d’indiquer dans l’annonce. C’est une façon polie de me rappeler que si j’en demande plus, il y aura bien une autre candidate pour accepter ce que l’offre propose, et qu’en réalité la seule bonne réponse est contenue dans l’annonce. Je m’incline. Que puis-je faire d’autre de toute façon ? J’ai besoin de ce travail. Elle m’explique enfin que je serai recontactée la semaine prochaine certainement pour rencontrer le directeur de l’entreprise. Et nous recommencerons la même scène, les mêmes répliques. Je porterai peut-être la même jupe et le même chemisier. J’aurai sans doute la même paire de chaussures. Et j’aurai bien sûr le même sourire aimable et présentable.

Source : Lesblablasdemma

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